Indifférence de la situation de co-emploi entre l’entreprise et le groupe dont elle relève sur le caractère total et définitif de la cessation de l’activité contrôlé par l’Administration saisie d’une demande d’autorisation de licenciement pour motif économique sur ce fondement (CE, 28 avril 2023, n°453087)
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Les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient d’une protection exceptionnelle impliquant qu’ils ne puissent pas être licenciés sans l’autorisation préalable de l’inspection du travail.
Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de préciser l’étendue du contrôle de l’Administration lorsque le licenciement du salarié protégé est envisagé pour un motif économique fondé sur la cessation d’activité de l’entreprise.
En particulier, en 2013, la Haute Juridiction a jugé que lorsque la demande est fondée sur la cessation d’activité de l’entreprise, l’Administration doit contrôler, outre le respect des exigences procédurales légales et des garanties conventionnelles, que la cessation d’activité de l’entreprise est totale et définitive et que l’employeur a satisfait, le cas échéant, à l’obligation de reclassement prévue par le code du travail. En revanche, le Conseil d’Etat juge qu’il n’appartient pas à l’Administration de rechercher si cette cessation d’activité est justifiée par l’existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l’entreprise ou bien l’absence de faute ou légèreté blâmable de l’employeur (CE, 8 avril 2013, n°348559).
En 2015, le Conseil d’Etat est allé plus loin en confirmant que la cessation d’activité de l’entreprise suffisait à elle seule à justifier le licenciement pour motif économique d’un salarié protégé dès lors qu’elle était totale et définitive et que, dans ce cadre, l’Administration devait tenir compte de tous les éléments de droit ou de fait recueillis lors de son enquête qui sont susceptibles de remettre en cause le caractère total et définitif de la cessation d’activité et de toute autre circonstance qui serait susceptible de remettre en cause ce caractère. A ce titre, le Conseil d’Etat a précisé qu’une reprise, même partielle, de l’activité de l’entreprise impliquant un transfert du contrat de travail du salarié à un nouvel employeur en vertu de l’article L. 1224-1 du code du travail faisait obstacle au licenciement. En revanche, le fait qu’une activité de même nature soit poursuivie par d’autres entreprises du groupe ne remettait pas en cause le caractère total et définitif de la cessation d’activité (CE 22 mai 2015, n°375897).
Dans le prolongement de cette jurisprudence établie, le Conseil d’Etat se positionne ici sur la notion de co-emploi, et son incidence sur l’appréciation de la cessation totale d’activité.
Dans cette affaire, la Cour administrative d’appel avait estimé que la décision d’autorisation de licenciement devait être annulée au motif qu’il existait une situation de coemploi entre la société et le groupe dont elle relevait, faisant obstacle à ce que la ministre du travail autorise le licenciement des salariés protégés de la société en raison de sa cessation d’activité.
Le Conseil d’Etat a rejeté cette argumentation.
Après avoir rappelé sa jurisprudence de 2013 et 2015, le Conseil d’Etat affirme que seul le moyen tiré de ce qu’une autre entreprise était, en réalité, « le véritable employeur » des salariés protégés qu’il était projeté de licencier en raison de la cessation d’activité de l’entreprise était susceptible, le cas échéant, d’être invoqué. La Haute Juridiction Administrative reprend ainsi la notion de « l’employeur véritable » déjà choisie dans le cadre du contentieux relatif à la validité des décisions d’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi (CE, 17 oct. 2016, n°386306) pour écarter celle de co-emploi.
En réalité, cette solution, outre sa logique de continuité, se comprend d’autant plus que la procédure de licenciement d’un salarié protégé nécessite, pour son bon déroulé, que ne soit identifié qu’un seul employeur, là où la notion de « coemploi » implique la reconnaissance de deux employeurs.
Néanmoins, on peut regretter que le Conseil d’Etat ne soit pas allé plus loin et n’ait pas défini les éléments ou les critères permettant de déterminer le « véritable employeur ». A ce stade, on peut simplement relever que le Conseil d’Etat avait refusé dans une précédente décision de qualifier une société mère de « véritable employeur » au motif qu’il n’était pas démontré que le directeur et le DRH de la filiale à l’origine de la demande d’autorisation de licenciement auraient été salariés de la société mère, ni que cette dernière aurait signé le recours hiérarchique exercé à l’encontre de la décision de l’inspecteur du travail, ni que les rapports les unissant excédaient les rapports de domination d’une société mère sur sa filiale (CE, 3 mai 2017, n°389536).