Dénonciation d’un harcèlement moral : l’exigence de qualification des faits par le salarié est abandonnée
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La Chambre sociale de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en posant désormais pour principe qu’un salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié littéralement les faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce.
Dans cette affaire, une salariée avait adressé au conseil d’administration de l’association pour laquelle elle travaillait une lettre dénonçant le comportement de son supérieur hiérarchique, illustré de plusieurs faits ayant entrainé, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail, sans toutefois qualifier expressément ces faits de harcèlement moral. Elle était ensuite licenciée pour faute grave.
La salariée avait alors saisi la juridiction prud’homale en vue d’obtenir la nullité de son licenciement, au motif qu’il était intervenu en violation de l’interdiction de licencier un salarié qui dénonce de bonne foi des agissements de harcèlement, posée par l’article L. 1152-2 du Code du travail.
De son côté, l’employeur se prévalait de la jurisprudence existante dégagée en 2017, selon laquelle la protection attachée à la dénonciation d’un harcèlement moral est subordonnée à une exigence de qualification littérale des faits par le salarié lui-même au moment de cette dénonciation (Cass. soc. 13 sept. 2017, n°15-23.045).
La Cour d’appel faisait néanmoins droit à la demande de la salariée en retenant que le motif énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissement de harcèlement moral.
La Cour de cassation confirme l’analyse de la Cour d’appel et rejette le pourvoi de l’employeur, opérant ainsi un revirement de jurisprudence.
Pour justifier ce revirement, la Cour de cassation s’appuie sur deux arguments :
- L’application du principe d’égalité des armes qui conduit à permettre au salarié de se prévaloir, devant le juge, de la protection contre le licenciement, quand bien même il n’aurait pas lui-même employé les mots « harcèlement moral » pour qualifier les faits dénoncés.
- La cohérence avec la protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à l’exercice non abusif de sa liberté d’expression, dont le licenciement est nul pour ce seul motif.
La Cour de cassation apporte toutefois une nuance en précisant que cette solution ne s’applique que si l’employeur ne peut légitimement ignorer, à la lecture de l’écrit adressé par le salarié, ayant motivé son licenciement, que ce dernier dénonçait bien des agissements de harcèlement.