La présomption de démission pour abandon de poste
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Créé par la loi « marché du travail » du 21 décembre 2022, l’article L 1237-1-1 du Code du travail dispose que le salarié qui abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence dans le délai fixé par l’employeur est présumé avoir démissionné.
La mise en œuvre de cette présomption de démission a été précisée dans un décret n°2023-275 publié au JO du 18 avril 2023. Ce décret ajoute un nouvel article R. 1237-13 dans la section intitulée « Démission » de la partie réglementaire du Code du travail. Le dispositif est entré en vigueur le 19 avril 2023, au lendemain de la publication du décret.
Le ministère du travail a également apporté de nombreuses précisions dans un questions-réponses diffusé le 18 avril 2023.
Le délai laissé au salarié pour justifier son absence et reprendre son poste est fixé à 15 jours minimum
Le décret du 17 avril 2023 fixe à 15 jours le délai minimal donné au salarié par l’employeur pour reprendre son poste de travail et justifier son absence. Le questions-réponses du ministère du travail précise qu’il s’agit d’un délai calendaire, c’est-à-dire week-end et jours fériés compris. Ce délai court à compter de la présentation de la mise en demeure adressée soit par lettre recommandée, soit par lettre remise en main propre contre décharge.
Une mise en demeure nécessaire pour faire jouer la présomption de démission pour abandon de poste
L’employeur constatant l’abandon de poste et souhaitant faire jouer la présomption de démission doit mettre le salarié en demeure par lettre recommandée avec avis de réception ou remise en main propre contre décharge de justifier son absence et de reprendre son poste (C. trav., art. R. 1237-13 nouv.). Le questions-réponses du ministère du travail ajoute que la mise en demeure est considérée comme valablement notifiée dès lors que le pli a été présenté au domicile du salarié, peu important que celui-ci ait refusé d’en prendre connaissance.
Une attention toute particulière doit être portée à la rédaction de la mise en demeure. Dans son questions-réponses, le ministère du travail formule différentes recommandations relatives au contenu de la lettre de mise en demeure. L’employeur doit notamment :
- Y indiquer le délai dans lequel le salarié doit reprendre son poste ;
- rappeler au salarié que passé ce délai, faute pour le salarié d’avoir repris son poste, ce dernier sera présumé démissionnaire ;
- demander la raison de l’absence du salarié.
Il est également recommandé par le ministère du travail de :
- préciser les conséquences du refus du salarié de reprendre son poste dans le délai fixé par l’employeur : le salarié sera considéré comme démissionnaire et n’aura pas droit aux allocations de l’assurance chômage ;
- préciser que le salarié qui ne reprendrait pas son poste au plus tard à la date fixée est redevable d’un préavis ;
- rappeler que le silence du salarié sur l’organisation de l’éventuel préavis peut constituer de la part du salarié une manifestation de son refus d’exécuter le préavis.
Certains motifs peuvent légitimer l’absence du salarié et justifier l’abandon de la procédure de démission présumée
En réponse à cette mise en demeure, le salarié peut justifier son absence en invoquant et précisant un motif légitime. Sans que cette liste soit exhaustive, il ressort du décret du 17 avril 2023 que peuvent notamment être invoqués les motifs suivants :
- des raisons médicales ;
- l’exercice du droit de retrait ;
- l’exercice du droit de grève ;
- le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ;
- la modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur refusée par le salarié.
Le ministère du travail indique dans son questions-réponses que si le salarié répond à la mise en demeure de son employeur en justifiant son absence à son poste de travail par un motif légitime, la procédure permettant de présumer d’une démission ne doit pas être conduite à son terme.
Le salarié est présumé démissionnaire à la date ultime de reprise du travail fixée par l’employeur
Le questions-réponses du ministère du travail précise que le salarié est présumé démissionnaire « à la date ultime de reprise du travail fixée par l’employeur », c’est-à-dire le 15ème jour à 24h00. Le salarié a donc jusqu’au 15ème jour, 23h59 pour justifier son absence ou reprendre son poste.
Le salarié est présumé démissionnaire s’il ne répond pas à la mise en demeure et ne reprend pas le travail au plus tard à la date fixée par l’employeur dans la mise en demeure, ou s’il répond clairement à l’employeur, dans ce même délai, qu’il ne reprendra pas son poste sans davantage justifier son absence.
Attention cependant, le salarié ne sort pas des effectifs de la société à compter du 16ème jour : cette date doit être considérée comme le point de départ du préavis.
La présomption de démission pour abandon de poste ouvre le droit au préavis et à la remise des documents de fin de contrat
Le ministère du travail indique dans son questions-réponses que les règles de droit commun relatives au préavis en cas de démission s’appliquent au salarié présumé démissionnaire. Le préavis de démission est donc dû si des dispositions législatives ou conventionnelles ou, à défaut, les usages pratiqués dans la localité et la profession le prévoient.
Le ministère du travail précise que le préavis de démission commence à courir à compter du jour ultime fixé par l’employeur dans la mise en demeure pour la reprise du travail de son salarié en abandon de poste. En pratique, le préavis commence donc à courir à compter du 16ème jour suivant la présentation de la mise en demeure, le délai laissé au salarié pour reprendre son poste expirant le 15ème jour à 24h00.
L’employeur peut dispenser son salarié d’exécuter son préavis, ce dernier devant alors percevoir une indemnité compensatrice de préavis. Le ministère du travail indique en outre que l’employeur et le salarié peuvent se mettre d’accord pour que le préavis ne soit pas exécuté. En pareil cas, aucune indemnité compensatrice n’est due. L’indemnité compensatrice de préavis n’est également pas due lorsque le préavis n’est pas exécuté à l’initiative du salarié.
A l’expiration du délai de préavis, l’employeur doit également remettre au salarié les documents de fin de contrat habituels (certificat de travail, solde de tout compte, attestation Pôle emploi).
Abandon de poste – démission présumée
Exemple de procédure avec un délai de 15 jours
Quid de la possibilité de licencier le salarié pour abandon de poste depuis l’entrée en vigueur de ce nouveau dispositif ?
Sur ce point, nous assistons, depuis la publication du questions-réponses du ministère du travail, à de nombreux débats et revirements. A ce sujet, le questions-réponses du ministère du travail précise comme suit : « Si l’employeur désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission. Il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute. ». En revanche, il précise que l’employeur peut décider de ne pas mettre en demeure son salarié qui a abandonné volontairement son poste, auquel cas l’intéressé est maintenu dans les effectifs, le contrat de travail étant suspendu et la rémunération n’étant pas due.
Le ministère du travail, questionné sur l’interprétation qui doit être faite de ce questions-réponses, précisait dans un premier temps : « Il ne faut pas surinterpréter [la formulation du questions/réponses] qui n’exclut pas l’application d’un licenciement pour faute », laissant entendre qu’en cas d’abandon de poste, le licenciement disciplinaire du salarié demeurait possible.
Par suite, le ministère a opéré un revirement de position, et a finalement exclu toute possibilité de licenciement disciplinaire en cas d’abandon de poste au profit de la présomption de démission, en déclarant à la presse : « Oui, si la rupture de contrat est motivée par l’abandon de poste, l’employeur est obligé de mettre en demeure et d’attendre un délai de 15 jours. Pour constater un abandon de poste, l’employeur est [tenu] aujourd’hui d’effectuer cette procédure. L’employeur ne peut désormais plus utiliser l’abandon de poste comme un fait motivant une faute grave ou lourde. »
Si une clarification du questions-réponses du ministère du travail est attendue sur ce point, le syndicat Force Ouvrière a d’ores et déjà annoncé déposer un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat afin d’obtenir l’annulation du décret mettant en œuvre ladite présomption de démission, ainsi que l’annulation du questions-réponses du ministère du travail. Selon nos sources, un recours a également été déposé devant le Conseil d’Etat par l’association Le Cercle Lafay.
Une décision du bureau de jugement en cas de contestation du salarié
En cas de contestation par le salarié, celui peut saisir directement le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes. Si le Conseil de prud’hommes l’estime légitime, l’abandon de poste sera imputable à l’employeur et produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, justifiant le versement des indemnités de rupture afférentes et permettant le cas échéant au salarié de prétendre au bénéfice des allocations chômage. Dans le cas contraire, il produira bien les effets d’une démission, privative de toute indemnité et allocation.