Droit d’alerte économique : le recours à l’expertise par le CSE peut être jugé abusif.
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Le code du travail permet au comité social et économique (CSE) d’exercer un « droit d’alerte économique » lorsqu’il a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise (c. trav. art. L2312-63).
Le code du travail permet au comité social et économique (CSE) d’exercer un « droit d’alerte économique » lorsqu’il a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’en-treprise (C. trav. art. L2312-63).
Si le comité (ou sa commission économique, le cas échéant) n’obtient pas de réponse suffisante de l’employeur ou si celle-ci confirme le caractère préoccupant de la situation, il établit un rapport qui est transmis à l’employeur et au commissaire aux comptes.
A cette fin, il peut recourir à un expert-comptable de son choix, financé à 80 % par l’employeur et à 20 % par le CSE (C. trav. art. L2315-80), chargé de l’assister dans la rédaction de ce rapport (C. trav. art. L2312-64).
Si le texte permet au CSE de recourir à une expertise une fois par exercice comptable (C. trav. art. L2312-64), dans le cadre de son droit d’alerte économique, la Cour de cassation a jugé dans son arrêt du 11 septembre 2024 que ce recours n’est pas pour autant de droit (n° 23-12.500, Inédit).
Rappel du contexte :
Le 25 juillet 2022 le CSE d’une société a décidé de recourir à un expert-comptable dans le cadre du droit d’alerte économique. Sans contester l’exercice de son droit d’alerte, la société a contesté le principe de l’expertise en saisissant le président tribunal judiciaire de Nanterre pour faire annuler la délibération du CSE.
L’employeur estimait que la désignation d’un expert n’était pas justifiée, en raison notamment d’une expertise similaire réalisée moins de deux mois auparavant dans le cadre de l’information-consultation annuelle sur la situation économique et financière de l’entreprise.
Le Président du tribunal a accueilli sa demande aux motifs :
- que deux expertises se sont succédé dans le même mois, avec le même cabinet, et que leur contenu serait donc « très proche » ;
- et qu’il paraissait nécessaire de rationaliser les coûts des expertises au vu des difficultés économiques de l’entreprise.
La délibération ayant été annulée, l’expert et le CSE se sont pourvus en Cassation, la voie de l’appel étant dans ce type de procédure fermée (C. trav. art. L2315-86).
Arguments développés en Cassation
Les demandeurs au pourvoi ont formulé plusieurs arguments :
- le tribunal aurait dû examiner le bien-fondé du déclenchement de l’alerte économique par le CSE, car la légitimité de l’expertise découlerait de celle du droit d’alerte lui-même ;
- les expertises liées à l’alerte économique et celles relatives à la consultation annuelle sur la situation fi-nancière et économique de l’entreprise poursuivent des finalités différentes et peuvent donc être menées simultanément ;
- le tribunal ne pouvait pas fonder son raisonnement sur le coût financier des expertises, car ce critère n’est pas prévu par la loi.
Position de la Cour de cassation
La Cour de cassation rejette le pourvoi, validant la décision du tribunal judiciaire.
D’abord, la Cour réaffirme la distinction entre le droit d’alerte économique et la nécessité de l’expertise. Si l’em-ployeur peut contester la nécessité de l’expertise, cela ne lui permet pas de remettre en cause, par voie d’excep-tion, la validité de la procédure d’alerte économique en elle-même (C. trav. art. L2315-86).
Ainsi, dans le cadre de la procédure accélérée au fond, le président du tribunal judiciaire n’a pas à se prononcer sur la régularité du droit d’alerte déclenché par le CSE, mais uniquement sur l’opportunité du recours à une expertise supplémentaire.
Cette séparation avait déjà été consacrée dans une décision antérieure de la Cour de cassation (Cass. soc. 28 juin 2023, 21-15.744, Inédit).
Ensuite, la Cour confirme l’appréciation souveraine du président du tribunal judiciaire qui a estimé que l’expertise n’était pas nécessaire.
La Cour souligne le fait que le comité avait déjà été suffisamment informé par une expertise comptable, réalisée peu de temps auparavant dans le cadre de l’information-consultation annuelle sur la situation économique de l’entreprise.
La Haute juridiction rappelle, en outre, que le comité avait ordonné pas moins de 14 expertises, dont 3 dans le cadre du droit d’alerte économique, ce dont il ressortait le caractère abusif du recours à l’expertise, permettant au président d’annuler la délibération.
En d’autres mots, la Cour de cassation rappelle que la répétition d’expertises, sans nécessité avérée, peut être jugée abusive.
Portée de la décision
Pour les employeurs, cette décision, qui peut à notre sens être étendue à tout type d’expertise, conforte la pos-sibilité de contester les expertises jugées redondantes ou inutiles, notamment lorsque le comité a déjà obtenu les informations nécessaires (peu important le motif de recours à l’expertise).
Si un texte permet au CSE de recourir à une expertise, encore faut-il que cette expertise ait pour objet de l’infor-mer. A défaut, le comité commet un abus de droit.
Cette décision est la bienvenue et donne des arguments juridiques aux employeurs qui sont parfois confrontés à certains abus.