La reconnaissance d’une situation de coemploi économique au sein d’un groupe : la nécessaire démonstration d’une immixtion anormale et continue de la société mère dans la gestion sociale et économique de la filiale
Cass. soc., 23 novembre 2022, n°20-23.206
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a précisé les indices pouvant permettre la caractérisation d’un coemploi économique. Une telle reconnaissance permet au salarié licencié contestant son licenciement, de ne pas se heurter à l’insolvabilité de la société qui l’employait et d’obtenir une indemnisation par la société mère, malgré l’absence de tout lien de subordination juridique avec cette dernière.
Faits et procédure
Le salarié d’une filiale ayant été rachetée par la société mère, licencié pour motif économique, a saisi la juridiction prud’homale de demandes dirigées contre ces deux sociétés dans le but d’obtenir une condamnation in solidum au paiement de dommages intérêts pour harcèlement moral et licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La cour d’appel de Metz a fait droit à la demande reconnaissance du coemploi entre les deux sociétés, dès lors qu’à la suite du rachat de la filiale par la société mère :
- La filiale n’avait plus de client propre et s’est retrouvée sous la totale dépendance économique de la société mère ;
- La société mère s’est substituée à la société filiale dans la gestion de son personnel dans les relations tant individuelles que collectives, celle-ci n’ayant plus aucune autonomie dans l’élaboration des tournées des chauffeurs, leurs plannings, les relations avec les clients et de leur temps de vote pour les institutions représentatives du personnel ;
- La gestion financière et comptable de la filiale était assurée par la société mère.
La société mère a formé un pourvoi en cassation, qui a été rejeté par la Cour, au motif qu’une immixtion permanente et anormale de la société mère dans la gestion économique et sociale de filiale « conduisant à la perte totale d’autonomie d’action » de celle-ci constituait une situation de coemploi.
Une précision de la définition de coemploi
La Cour de cassation a reconnu l’existence d’une situation de coemploi entre deux sociétés appartenant à un même groupe. Cependant, cela ne signifie pas que le salarié qui formule une telle demande puisse se contenter d’indiquer que la société dans laquelle il travaillait faisait partie d’un groupe ou de mettre en évidence la domination économique de la société mère envers la filiale. Il devra en effet apporter la preuve d’une ingérence excessive et continue, tant dans la gestion économique que dans la gestion sociale de la filiale par la société mère.
Par cette décision, la Cour de cassation confirme et précise la notion de coemploi économique qui permet au salarié d’une filiale d’être indemnisé par une société mère avec laquelle il n’a pourtant pas de lien de subordination juridique.
La question des interactions entre sociétés d’un même groupe se posant fréquemment, ce nouvel éclairage sur la nature des rapports intragroupes et sur les conséquences sociales (et donc financières) qui peuvent en découler est le bienvenu.