Menu
5 janvier 2024 Flash Info

Le juge civil peut désormais tenir compte d’éléments de preuve obtenus de manière déloyale

Ref : Cass. Soc. 22 décembre 2023, n° 20-20.648 et 21-11.330

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation s’est prononcée le 22 décembre 2023 sur la question de la recevabilité de la preuve obtenue de manière déloyale dans deux affaires en matière prud’homale. 

Dans la première affaire, le salarié a saisi la juridiction prud’homale afin de contester son licenciement pour faute grave. Pour apporter la preuve de cette faute, l’employeur a produit aux débats l’enregistrement sonore d’un entretien au cours duquel le salarié avait tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied. Cet enregistrement avait néanmoins été réalisé à son insu.

Dans la deuxième affaire, un salarié avait laissé ouverte, sur son ordinateur professionnel, sa session Facebook pendant ses congés. L’intérimaire, chargé de le remplacer, avait utilisé son poste informatique sur lequel il avait pu prendre connaissance d’une conversation sur la messagerie Facebook du salarié absent tenue à son sujet. Plus particulièrement, le salarié absent y sous-entendait que la promotion dont avait bénéficié l’intérimaire était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiéarchique. La conversation avait ensuite été transmise à l’employeur qui avait licencié le salarié pour faute grave. 

Les deux salariés ont saisi le conseil de prud’hommes pour contester leur licenciement.

Dans ces deux affaires, les preuves avaient été déclarées irrecevables en appel :

  • L’enregistrement sonore car il avait été réalisé de manière clandestine, à l’insu du salarié lors d’un entretien informel.
  • La conversation par messagerie Facebook dès lors qu’il s’agissait d’une conversation privée.

Les licenciements avaient été jugés sans cause réelle et sérieuse compte tenu de l’absence de preuve permettant de démontrer la faute commise par les salariés.

Les deux employeurs ont formé un pourvoi en cassation.

Ces deux affaires ont été renvoyées devant l’Assemblée plénière, formation de jugement, au sein de laquelle toutes les chambres de la Cour sont représentées.

L’Assemblée plénière a été amenée à répondre à la question suivante : « Est-ce qu’il doit être admis, sur le modèle de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’une preuve obtenue de manière déloyale peut, sous certaines conditions, être soumise au juge civil ? ».

Pour mémoire, depuis 2011, la position de la Cour de cassation en matière de preuve déloyale obéissait à la règle suivante : lorsqu’une preuve est obtenue de manière déloyale, c’est-à-dire lorsqu’elle est recueillie à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème, un juge ne peut pas tenir compte de ce type de preuve.

A l’occasion de la première affaire, la Cour de cassation fait évoluer sa position en admettant que des moyens de preuves déloyaux peuvent être présentés au juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable. Elle précise toutefois que la prise en compte de ces éléments de preuves ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (notamment vie privée, égalité des armes etc.). 

La décision de la cour d’appel, qui avait écarté les enregistrements clandestins au motif qu’ils avaient été obtenus de manière déloyale, est censurée et renvoyée devant une autre Cour d’appel qui devra vérifier, d’une part, que les enregistrements étaient effectivement indispensables pour prouver la faute grave du salarié, et que, d’autre part, ces enregistrements réalisés à l’insu du salarié ne portaient pas une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux.

Cette solution constitue un revirement de jurisprudence et s’aligne sur la jurisprudence européenne. 

Dans la deuxième affaire, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel il n’est possible de licencier disciplinairement un salarié pour un motif en lien avec sa vie personnelle que si celui-ci constitue un manquement à ses obligations professionnelles. 

Tel n’était pas le cas dans cette deuxième affaire : les propos échangés par le salarié avec l’un de ses collègues sur la messagerie Facebook constituent une conversation privée qui n’avait pas vocation à être rendue publique et ne pouvait s’analyser, en l’absence d’autres éléments, en un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail.

Cette solution s’inscrit en continuité de la jurisprudence antérieure.

En conclusion, la Cour de cassation admet dorénavant, dans un litige civil, qu’une partie puisse utiliser, sous certaines conditions, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits. Tel est le cas pour un employeur dans un procès en contestation par le salarié d’un licenciement pour faute grave.

Littler France
Littler France est un cabinet d’avocats indépendant membre du réseau Littler Global proposant une offre complète en droit social et une expertise unique en droit de la formation professionnelle.
Dernières actualités
4 juin 2025 Evénement
Littler France interviendra au HR Summer Session 2025
3 juin 2025 Actualité
Si l’état de santé d’un salarié justifie le report de son entretien préalable à un éventuel licenciement, l’employeur est simplement tenu de l’aviser, en temps utile et par tous moyens, des nouvelles date et heure de cet entretien.
3 juin 2025 Actualité
Obligation de vérification par l’employeur de la qualification nécessaire à l’exercice de l’emploi de son salarié