Peut-on licencier un salarié pour faute et insuffisance professionnelle ?
Ref : Cass. soc. 17 janvier 2024, 22-19.733 et n°22-11.575
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La Cour de cassation vient de rappeler dans deux arrêts que l’employeur peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs distincts de rupture inhérents à la personne du salarié, par exemple une faute et une insuffisance professionnelle, à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement.
Dans la première affaire, un directeur s’est vu licencier pour deux motifs distincts : d’une part un motif disciplinaire caractérisé par le climat de souffrance au travail qu’il imposerait à ses collègues et subordonnés et qui constituerait des faits de harcèlement moral, et d’autre part un motif personnel non-disciplinaire tenant notamment à un manque d’implication, une absence de soutien de ses équipes, et un défaut de communication sur des décisions contestées.
Il contestait son licenciement auprès de la juridiction prud’homale
Même si les juges du fond ont retenu que le harcèlement moral était insuffisamment caractérisé, la demande de requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse se voit écartée par le Conseil de prud’hommes et la Cour d’appel de Rennes dès lors que les juges ont considéré que les éléments produits par la Société permettaient de démontrer une insuffisance professionnelle justifiant le licenciement.
Le salarié forme un pourvoi et conteste ces décisions au soutien de deux moyens :
- Il considérait dans un premier temps que l’insuffisance professionnelle ne revêtait pas de caractère fautif, disposant que la présence du caractère disciplinaire (par la faute grave), obligeait le juge à chercher un caractère fautif et à en tirer les conséquences. La cour d’appel ayant écarté la faute grave mais retenu le grief d’insuffisance professionnelle comme constitutif d’une cause réelle et sérieuse d’un licenciement pour motif disciplinaire, avait violé sa compétence.
- Il soutenait dans un second temps que la cour d’appel avait également violé sa compétence en se cantonnant à valider le licenciement sur le motif de l’insuffisance professionnelle sans rechercher si les deux motifs visaient effectivement des faits distincts permettant de justifier la coexistence d’un motif disciplinaire et non disciplinaire.
La Cour de cassation rappelle, selon une jurisprudence constante, que plusieurs motifs de licenciement peuvent effectivement être énoncés dans la lettre de licenciement à condition que ces motifs visent des faits distincts et que les règles applicables à chaque cause de licenciement soient respectées.
Dans la seconde affaire, un directeur commercial s’est vu notifier un licenciement pour un motif personnel non disciplinaire tenant compte notamment d’une absence de réalisations commerciales, d’un manque de reporting, et plus largement, du fait qu’il n’ait pas su prendre la mesure du contenu, des attendus et du périmètre de son poste.
Ce salarié conteste son licenciement et estime que les faits qui lui sont reprochés sont en réalité des faits fautifs et oppose dès lors à la Société la prescription des faits fautifs.
La Cour d’appel déduit de l’analyse de la lettre de licenciement que les faits reprochés sont effectivement des faits fautifs considérant que la Société aurait par conséquent dû se placer sur le terrain disciplinaire. Elle fait ainsi droit à la demande du salarié après avoir constaté que les faits étaient datés de plus de deux mois avant le licenciement et donc prescrits.
La Cour de cassation censure quant à elle les juges du fond après avoir retenu que ces derniers n’avaient pas rechercher si l’un des motifs contenus dans la lettre ne caractérisait pas en réalité une insuffisance professionnelle qui échappait à la prescription de deux mois.
Ces deux arrêts sont l’occasion de rappeler les principes en vigueur : en cas de présence de plusieurs motifs disciplinaires ou non-disciplinaires, les juges doivent se prononcer sur l’intégralité de ces derniers, l’insuffisance de l’un n’écarte pas de fait les autres.
En revanche, une limite perdure : cette multiplication de motif ne peut s’appliquer qu’aux motifs inhérents à la personne du salarié. En cas de coexistence entre un motif personnel et économique, il appartient au juge de rechercher celui qui a été la cause première et déterminante du licenciement et d’apprécier le bien-fondé du licenciement au regard de cette seule cause (Cass. Soc., 3 avril 2002, n°00-42.583).