Un salarié peut-il porter, pour la première fois en instance d’appel, une nouvelle demande visant à obtenir le rappel de congés payés durant une période de maladie, en s’appuyant sur la nouvelle jurisprudence la Cour de cassation, sans jamais en avoir fait état en première instance ?
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Non, pour la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 7 février 2024, n°21/03103)
Une salariée est placée en arrêt de travail pour maladie professionnelle et est licenciée pour inaptitude d’origine professionnelle et impossibilité de reclassement. Elle saisit le Conseil de prud’hommes de Montmorency aux fins de paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
En appel, au cours de la procédure, la salariée formule une nouvelle demande et sollicite le versement d’une somme au titre des congés payés dont elle n’a pas pu bénéficier pendant son arrêt maladie.
L’employeur soulève à titre principal l’irrecevabilité de la demande nouvelle de rappel de congés payés, au visa de l’article 564 du Code de procédure civile et, à titre subsidiaire, la prescription de la demande. La salariée affirme que sa demande est l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de sa demande de rappels de salaires formulée en première instance, que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel, et qu’elle n’a pas formulé cette demande devant les premiers juges en raison de la jurisprudence alors applicable, qui a fait l’objet d’un revirement le 13 septembre 2023, donc au cours de la procédure d’appel.
La Cour d’appel de Versailles, se fondant sur les dispositions de l’article 564 du Code de procédure civile, rappelle qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, « les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait », ajoutant que selon l’article 566 du même Code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Elle procède ensuite à une analyse de la demande nouvelle, par comparaison avec les demandes pécuniaires formulées devant les premiers juges qui portaient notamment sur :
- l’indemnité compensatrice de préavis,
- l’indemnité légale de licenciement pour inaptitude,
- des dommages-intérêts pour remise non conforme de l’attestation chômage,
- des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- un préjudice vexatoire subi pendant la procédure de licenciement,
- des rappels de salaires,
- des dommages-intérêts pour le non-respect de l’obligation de visite médicale,
- l’exécution provisoire.
Elle constate en outre que les rappels de salaires sollicités en première instance concernent la période de 1999 à 2006 alors que la demande au titre des congés payés vise sa période continue d’arrêt de travail pour maladie professionnelle du 10 octobre 2012 à son licenciement pour inaptitude du 20 janvier 2017, et en déduit que cette demande ne constitue pas l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de sa demande de rappels de salaires formée en première instance.
La Cour d’appel ajoute, en réponse à l’argumentation de la salariée, que par application d’un droit antérieurement reconnu par le droit de l’Union (article 31 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne), les salariés acquièrent des congés payés pendant la totalité de leurs arrêts de travail pour maladie professionnelle, de sorte que le droit, pour le salarié d’acquérir des congés payés pendant la suspension de son contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle ou pour maladie professionnelle ou accident du travail, n’est pas nouveau et correspond à l’état du droit au moment où la salariée a saisi la juridiction prud’homale, seule la limitation d’indemnisation à un an en cas de maladie professionnelle étant écartée par la jurisprudence issue des arrêts du 13 septembre 2023 invoqués.
En conséquence, selon la Cour, la décision de la chambre sociale de la Cour de cassation ne constitue pas un fait nouveau au sens de l’article 564 du Code de procédure civile, permettant à la Cour de retenir la recevabilité de cette demande nouvelle en appel.
Oui, pour la Cour d’appel de Toulouse (CA Toulouse, 9 février 2024, n°22/02515)
Une salariée, placée en arrêt de travail, est déclarée inapte à tout poste de travail par le médecin du travail et est licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Elle saisit le Conseil de prud’hommes de Toulouse en contestation de son licenciement et en paiement de diverses sommes.
En appel, au cours de la procédure, la salariée formule une nouvelle demande et sollicite la somme de 6.666,70 au titre des congés payés dont elle n’a pas pu bénéficier pendant son arrêt maladie.
Selon l’employeur, cette demande doit être déclarée irrecevable, ce dernier considérant qu’elle n’a pas été présentée, ni dans la requête initiale, ni dans les premières conclusions d’appel.
La Cour d’appel de Toulouse, rappelant qu’il n’existe plus de principe d’unicité d’instance en droit social, considère que les demandes additionnelles doivent, par application de l’article 70 du Code de procédure civile « présenter un lien suffisant avec les demandes initiales » et que devant la Cour d’appel, les demandes nouvelles sont en principe irrecevables par application de l’article 564 du Code de procédure civile, ajoutant que toutes les prétentions doivent en principe « être présentées dès les premières écritures » par application de l’article 910-4 du Code de procédure civile.
Elle précise qu’il existe toutefois des exceptions à ce principe et constate que, dans l’affaire lui étant soumise, « le débat a toujours porté sur les modalités d’exécution du contrat de travail et la dégradation corrélative de l’état de santé de la salariée de sorte que la demande [au titre des congés payés dont elle n’a pu bénéficier durant son arrêt maladie], présentait un lien suffisant avec les demandes initiales ».
Elle ajoute également qu’il doit être constaté que « les prétentions peuvent être ajoutées dès lors qu’elles découlent de la survenance ou de la révélation d’un fait », qui peut être juridique et qui peut résulter « de la modification du régime applicable découlant de la non-conformité des dispositions de l’article L. 3141-3 du Code du travail au droit de l’Union européenne et plus particulièrement de l’arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 », déduisant que la demande est recevable.